L’audition représente, avec les autres sens, une voie clé de communication entre un individu et son environnement. Chez les primates, ce sens joue un rôle majeur dans l’évitement des prédateurs, la recherche de nourriture et les soins aux nourrissons. Les primates ont émergé il y a 65 millions d’années et ils ont colonisé des biotopes aux caractéristiques acoustiques différentes. Parmi les primates, l'Homme est la seule espèce à avoir colonisé tous les biotopes. Ces environnements acoustiques contrastés combinés aux facteurs individuels (tels que taille, activité quotidienne, système de reproduction, structure sociale) ont certainement modelé la sensibilité auditive, comme en attestent les différences morphologiques cochléaires et les profils auditifs observés chez les primates. Ces changements morphologiques et physiologiques ont certainement été soumis à l’action de la sélection. S’intéresser à l’audition et à son évolution présente un intérêt fondamental pour comprendre les mécanismes de sélection liés à l’environnement, mais peut aussi apporter des éléments d’information dans le contexte actuel préoccupant de l’augmentation de la perte d’audition dans certaines sociétés humaines.
L’objectif de cette thèse est double. Dans le premier volet, le but est d’étudier les gènes exprimés dans la cochlée pour 27 espèces de primates et évaluer si ces gènes présentent des signaux de sélection positive qui pourraient suggérer une adaptation de l’oreille interne aux contextes environnementaux de chaque espèce. En suivant une approche par maximum de vraisemblance, nous avons procédé à l’identification des sites, mais aussi des branches, sous sélection sur 123 gènes exprimées dans la cochlée. Les signaux de sélection pouvant être induits par différents facteurs (duplication, conversion génique biaisée, problèmes d’alignements), une analyse de ces facteurs confondants a également été menée. Nos résultats montrent que 41 gènes pourraient montrer des signaux de sélection pour l'ensemble des primates analysés; ces gènes sont essentiellement impliqués dans le développement des cellules ciliées et des stéréocils - structures cellulaires actrices de la mécanotransduction. Les analyses de branch-site mettent en avant une répartition hétérogène des signatures sélectives entre les espèces: le rhinopithèque de Biet qui habite exclusivement en haute-altitude (4700 m) est parmi les primates présentant le plus de gènes sous sélection positive, et dans une moindre mesure les primates nocturnes douroucoulis (emph{Aotus nancymaae}) et l’otolemur (emph{Otolemur garnettii}) présentent également de fortes signatures de sélection positive, signe probable d’une adaptation à un style de vie qui pourrait privilégier le sens de l’audition par rapport à d’autres types de sens.
Dans le deuxième volet, nous analysons les résultats de sensibilité auditive par otoémissions acoustiques collectées chez des populations humaines échantillonnées dans des environnements acoustiques très contrastés en Afrique du Sud, en altitude (Équateur) et en plaine (Angleterre). Nos résultats permettent d’obtenir une vue d’ensemble de la sensibilité auditive pour des individus sains de 18 à 50 ans sur une plage de fréquence de 400 à 5000 Hz. Nos résultats préliminaires, basés sur une analyse de covariance des profils d’amplitude, montrent des différences notables entre populations. En particulier, les individus des populations vivants en Équateur (3400m) présentent des profils très différents comparés au reste des populations et viennent conforter l’évolution différentielle des individus vivant en altitude.
En conclusion, notre étude montre que la sensibilité auditive varie en fonction des milieux et pourrait laisser un trace claire dans le génome "auditif" des individus et notamment le développement des cellules ciliées de la cochlée. |
The hearing sense represents along with the other senses, a main communication pathway between an individual and his environment. In primates, this sense plays a leading role in predator avoidance, food search, and infant care. Primates emerged 65 million years ago and colonised biotopes with different acoustics characteristics. Among the primates, humans are the only species which colonised all types of biotopes. Those contrasting acoustic environments combined with individual factors (size, diel activity, reproduction system and social structure) have probably shaped hearing sensitivity, as evidenced by the differences in cochlear morphologies and hearing profiles between primate species. Those morphological and physiological changes were probably driven by selection forces. Understanding hearing evolution is of fundamental interest not only to decipher the selection mechanisms linked to the environment, but also to shed light on the current alarming context of increasing cases of hearing loss in certain human societies.
The objective of this thesis is twofold. In a first part, the aim is to study the genes expressed in the cochlea in 27 primates species and to investigate if those genes present a signature of positive selection that could suggest an adaptation of the inner ear to specific environmental contexts. Following the approach of maximum of likelihood, we proceeded to the identification of the sites, and branches, under selection for 123 genes expressed in the cochlea tissue. Because selection signals could be biased by different factors (duplications, biased gene conversion and misalignment), an analysis of these confounding factors has also been performed. The results indicate that 41 genes show signature of positive selection in the set of primates analysed. These genes are mainly implicated in the development of hair cells and stereocilia – cellular structures implicated in the mechanotransduction. The branch-site analyses show a heterogeneous distribution of selected signatures between the species: the Black snub-nosed monkey living exclusively in high-altitude (4700 m) is the primate with the higher number of positively selected genes. In a lesser extent, nocturnal primates such as the Ma’s night monkey (emph{Aotus nancymaae}) and the Bushbaby (emph{Otolemur garnettii}) present also strong positive selection signatures, probably because of an adaptation to a lifestyle favouring hearing sense instead of the other type of senses.
In a second part, we compared the hearing sensitivity, measured by recording otoacoustic emissions, of human populations sampled in contrasting acoustic environments living in South-Africa, in altitude (Ecuador) and in lowland (England). The results allow us to draw a general view of the hearing sensitivity between 400 to 5000 Hz, for healthy 18-50-years-old individuals. Preliminary results, based on covariance analyses of the amplitude profiles, show differences between populations. More specifically, individuals living in Ecuador (3400m) exhibit different profiles compared to the other populations, evidencing again an adaptive evolution particular to the individuals living in altitude.
In conclusion, our study shows that auditory sensitivity varies depending on the environments and this could leave a trace in the “hearing” genome of the individuals, notably in the genes involved in the development of the cochlear hair cells. |