Durant la Première Guerre mondiale, l’impossibilité d’importer des matières premières et des céréales depuis les pays ennemis oblige l’Allemagne à rationner ses denrées. Le premier aliment soumis à ce régime est le pain. Depuis le début du conflit en 1914 jusqu’au traité de Versailles en 1919, il s’agit d’étudier l’expérience de cet aliment de base et de montrer en quoi son évolution qualitative et quantitative a eu un effet sur le soutien de l’arrière à la poursuite de la guerre. Cette question invite à lier l’histoire des sens à l’histoire des émotions, l’étude des pratiques sociales et des représentations culturelles, de la presse et de la censure, de la politique du pain, de la médecine et de la sécurité alimentaire. L’anticipation des premiers manques se matérialise d’abord, entre 1914 et 1916, par la création de nouvelles institutions et par la recherche de farines de substitution, mais aussi par l’invention d’un pain de guerre, dont la consommation se mue en acte patriotique. À partir de 1916, la dégradation qualitative de l’aliment de base, refusé, mais souvent subi, raillé par l’ennemi, entraîne l’expression du dégoût. Entre 1918 et 1919, le pain de guerre est au cœur de revendications, d’un retour aux goûts des temps de paix et d’une remise en cause plus fondamentale du rationnement, ainsi que du rôle de l’État. Rendue possible par de riches fonds d’archives, cette étude invite à remettre en question plusieurs préjugés français concernant « le pain de guerre allemand », prenant racine dans une opposition plus ancienne entre pain blanc et pain noir. La conservation des traces matérielles et la transmission des pratiques de fabrication indiquent enfin le rôle capital de cet aliment de base dans l’expérience, mais également dans le souvenir de la guerre, et démontrent l’intérêt d’un sujet dont les enjeux se prolongent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. |
During the First World War, as it was impossible to import raw material and cereals from enemy countries, Germany had to impose bread rationing on the population. The first food to be rationed was bread. From the beginning of the conflict in 1914 to the treaty of Versailles in 1919, this study’s objective is to understand the experience of this food and in what way it’s qualitative and quantitative evolution influenced the Homefront’s will to support the war. The question leads to link the history of the senses with the history of emotions, the study of social practices and of cultural representations, of the press and the censorship, of the politics of bread, of the medicine and of the food security. The anticipation of the first shortages materializes from 1914 to 1916 through the creation of new institutions and the search for new substitutes to replace flour, but also through the invention of a war bread, which consumption becomes a patriotic gesture. From 1916 on, the bread’s qualitative and quantitative decline leads to the expression of disgust and to its refusal, although it continues to be suffered by the consumers and mocked by the enemies. From 1918 to 1919, war bread remains in the heart of demands for the return to the tastes of peace times and a more fundamental reassessment of the rationing system, as well as the State’s role. This study had been made possible thanks to many precious archives and invites to question several prejudices concerning « the German war bread » rooted in a more ancient opposition between white and black bread. The conservation of material traces and the transmission of bread-making practices in the long run indicate the capital role of this food for the experience, but also for the remembrance of the war. They prove the interest of a subject which stakes stretch out until the Second World War. |