La viabilité des systèmes de travail complexes repose en partie sur la capacité des opérateurs à y gérer des tâches concurrentes en fonction de leurs priorités respectives. Il s'agit là d'un processus critique qui, lorsqu'il est défaillant, peut amener à des erreurs de négligence ou de persévération sur certaines opérations.
Les modèles actuels de la priorisation humaine présentent de nombreuses limites : ils sont souvent normatifs et ne rendent pas suffisamment compte de la façon dont les opérateurs utilisent effectivement l'information disponible dans l'environnement pour le calcul des priorités. Leur faible pouvoir descriptif ne permet pas réellement de comprendre les mécanismes cognitifs contributifs de l'erreur, spécialement dans des situations de surcharge mentale.
Cette thèse, en adoptant l'approche de l'ergonomie cognitive, se donne pour objectif de mieux comprendre et décrire ces processus. En particulier, nous souhaitions répondre aux questions suivantes : comment les opérateurs traitent-ils l'information relative à la priorité des tâches ? Comment résolvent-ils des conflits de polarités ? Lorsque par exemple, une tâche est à la fois très difficile (polarité -) et très importante (polarité +). Enfin, quels sont les rapports fonctionnels entre la priorisation et les processus de contrôle exécutif ?
Pour ce faire, trois expérimentations fondamentales ont été menées, qui toutes mettaient les participants aux prises avec des situations de double-tâche, où divers attributs (difficulté, importance, marge d'erreur) des tâches étaient manipulés. Ces tâches reproduisaient des sollicitations des environnements complexes, comme la mémorisation, la surveillance, ou encore le diagnostic sous incertitude.
Les analyses de la performance comportementale et de l'activité oculaire ont montré que les opérateurs modulent le critère de priorisation, en particulier lorsque la charge de travail fluctue --~passant d'une stratégie dirigée par la difficulté en situation de faible charge, à une stratégie dirigée par l'importance en situation de charge élevée (expérimentation 1).
Cette modulation revêt une logique heuristique, selon laquelle les attributs des tâches sont ordonnées par les opérateurs, et biaisent alternativement l'allocation des ressources visuelles, en fonction de leur pertinence et de leur pouvoir discriminant (expérimentation 2).
Ces processus n'influencent pas systématiquement l'allocation visuelle des ressources, mais dépendent largement de la structure de l'environnement (expérimentation 3).
L'ensemble des résultats souligne l'importance de la priorisation dans la bonne tenue des systèmes complexes, et suggère une sensibilisation accrue des opérateurs à ces phénomènes lors de leur formation, ainsi qu'une réflexion à plus long terme sur la présentation de l'information à l'aide des interfaces homme-machine. |
The viability of complex systems depends in part on the operators' ability to manage competing tasks in accordance with their respective priorities. This is a critical process that, when impaired, can lead to errors of neglect or perseverance in certain operations.
Current models of human prioritization have many limitations: they are often normative and do not sufficiently reflect how operators actually use the information available in the environment for the priorities assessment. Their low descriptive power does not really allow us to understand the contributory cognitive mechanisms of error, especially in situations of mental overload.
This thesis, by adopting the approach of cognitive ergonomics, aims to better understand and describe these processes. In particular, we wanted to answer the following questions: How do operators process job priority information? How do they solve conflicts of polarities? When, for example, a task is both very difficult (polarity -) and very important (polarity +). Finally, what are the functional relationships between prioritization and executive control processes?
Three fundamental experiments were carried out, all of which involved participants in dual-task situations where various attributes (difficulty, importance, margin of error) of tasks were manipulated. These tasks resulted in demands from complex environments, such as memorization, monitoring, or uncertainty diagnosis.
Analyzes of behavioral performance and ocular activity have shown that operators modulate the prioritization criterion, especially when the workload fluctuates from a difficulty-driven strategy in a low-load situation to an importance-driven strategy in a high-load situation (experiment 1).
This modulation follows a heuristic logic, according to which the attributes of the tasks are ordered by the operators, and alternately biases the allocation of visual resources according to their relevance and their discriminating power (experimentation 2).
These processes do not systematically influence the visual allocation of resources, but depend largely on the structure of the environment (experimentation 3).
The overall results highlight the importance of prioritization for an acceptable system performance, and suggests that operators are better informed of these phenomena during their training, as well as a longer-term reflection on the displaying of information in human-machine interfaces. |