Pourquoi Joseph de Maistre, Auguste Comte et Charles Maurras font-ils autant de références à l’Antiquité dans leurs textes ? L’Antiquité n’apporte-t-elle pas un démenti cinglant à toutes les exclusions de ces auteurs réactionnaires ? N’est-ce pas les Grecs qui ont inventé la démocratie ? Les Romains n’ont-ils pas toujours refusé d’avoir un roi et une transmission héréditaire du pouvoir ? La religion païenne n’était-elle pas une religion du plaisir ? Les philosophes antiques n’ont-ils pas plutôt écrit des textes courts et des dialogues plutôt que des œuvres immenses et systématiques ? Si l’on veut être fidèle à l’Antiquité, peut-on être contre-révolutionnaire ?
Notre recherche a consisté à comprendre cet écart, entre notre perception de l’Antiquité et la perception de ces trois auteurs français du XIXe siècle. Notre perception actuelle a été façonnée par les révolutionnaires de 1789 et par les historiens et penseurs du XIXe siècle. Chaque époque transforme l‘Antiquité. En croyant mieux la retrouver, on se projette en réalité plus soi-même. Au cours de nos recherches, nous nous sommes aperçus que la lecture réactionnaire de l’Antiquité posait un véritable problème herméneutique avant de poser un problème politique. La lecture de nos auteurs s’appuie sur les textes antiques eux-mêmes, elle n’est pas une récupération superficielle. Une thèse n’était pas de trop pour comprendre ce phénomène.
Pour expliquer la présence paradoxale de l’Antiquité chez ces trois auteurs, nous avons repéré trois explications : la première raison se trouve dans leur éducation. Au XIXe siècle, les langues, littératures et histoires antiques avaient une grande place dans la formation des élites, au point qu’ils peuvent lire les textes antiques sans traduction et écrire des textes originaux en latin. La deuxième raison qui explique l’écart entre notre compréhension et celle de nos auteurs est que le tri que font nos auteurs dans l’Antiquité n’est pas le même que le nôtre. Ils soulignent que la démocratie grecque n’a été qu’un épisode de décadence de l’histoire grecque et non son apogée. De même, la religion païenne et la chrétienne ont pour eux bien plus de points communs que de différences. La troisième raison est que pour être fidèle à l’Antiquité, on ne peut pas la répéter ni l’oublier d’après eux, mais il faut la continuer. Leurs textes sont tissés de références parce que pour eux écrire est une manière de rassembler des fragments du passé dans une nouvelle unité. Leur conception de l’écriture va à l’encontre de la critique littéraire du XXe siècle qui a restreint de plus en plus son domaine d’étude au roman et à la fiction. En revenant à l’Antiquité, on se rend compte que les textes visant à exprimer une pensée font aussi partie de la littérature, comme les lettres, les dialogues, les traités, les anthologies. Comprendre les textes de nos trois auteurs suppose de retrouver une définition large de la littérature.
Il existe donc bien une continuité entre Maistre, Comte, Maurras et l’Antiquité, mais une continuité critique, parce qu’ils opèrent à leur manière un tri dans l’Antiquité. |
Why do Joseph de Maistre, Auguste Comte and Charles Maurras make so many references to antiquity in their texts? Does not antiquity bring a scathing denial to all the exclusions of these reactionary authors? Is it not the Greeks who invented democracy? Did not the Romans always refuse to have a king and a hereditary transmission of power? Was not pagan religion a religion of pleasure? Did not ancient philosophers rather write short texts and dialogues rather than immense and systematic works? If one wants to be faithful to antiquity, can one be a counter-revolutionary?
Our research consisted in understanding this gap, between our perception of Antiquity and the perception of these three French authors of the nineteenth century. Our current perception was shaped by the revolutionaries of 1789 and by historians and thinkers of the nineteenth century. Every era transforms Antiquity. While believing better to find it, we actually project ourselves more. During our research, we realized that the reactionary reading of antiquity raised a real hermeneutical question before raising a political one. The reading of our authors is based on the ancient texts themselves, it is not a superficial analysis. A thesis was not too much to understand this phenomenon.
To explain the paradoxical presence of Antiquity in these three authors, we have identified three explanations: the first reason lies in their education. In the nineteenth century, languages, literatures and ancient histories had a great place in the education of elites, to the point that they can read ancient texts without translation and write original texts in Latin. The second reason explaining the gap between our understanding and that of our authors is that the sorting our authors do in Antiquity is not the same as ours. They point out that Greek democracy has only been an episode of decadence in Greek history, not its climax. In the same way, pagan religion and Christianity have for them much more in common than differences. The third reason is that to be faithful to antiquity according to them, we cannot repeat it or forget it, but we must continue it. Their texts are woven with references because for them writing is a way to gather fragments of the past into a new unit. Their conception of writing goes against the literary criticism of the twentieth century, which has increasingly restricted his field of study to fiction and novel. Returning to antiquity, we realize that the texts intended to express a thought are also part of the literature, such as letters, dialogues, treatises, anthologies. To understand the texts of our three authors supposes to find a broad definition of literature.
There is therefore a continuity between Maistre, Comte, Maurras and Antiquity, but a critical continuity, because they operate in their own way a sort in Antiquity. |