Les traits d’histoire de vie désignent l’ensemble des traits phénotypiques directement liés à la valeur sélective (ou fitness en anglais), c’est-à-dire au nombre de descendants viables et fertiles qu’un animal produit. Une variation dans l’un de ces traits entraîne généralement une variation inverse dans un autre, illustrant les compromis évolutifs auxquels les organismes sont confrontés. Deux compromis majeurs sont particulièrement bien documentés : celui entre l’investissement pré- et post-copulatoire, et celui entre la survie et la reproduction.
L’agressivité, bien qu’elle ne soit pas un trait d’histoire de vie à proprement parler, joue un rôle déterminant dans l’accès et la défense des ressources, telles que la nourriture, le territoire ou les partenaires sexuels, influençant ainsi indirectement la valeur sélective. De nombreuses études ont montré que les individus les plus agressifs bénéficient d’un meilleur accès à ces ressources, pouvant se traduire par une augmentation de leur fitness.
Dans cette thèse, nous avons donc questionné l’impact d’une agressivité excessive sur les traits d’histoire de vie, et par extension, sur les compromis évolutifs qui les régulent. Nous avons également exploré les mécanismes génétiques et neurobiologiques impliqués dans certains comportements reproducteurs liés à ces compromis. Pour ce faire, nous avons utilisé une lignée de Drosophila melanogaster sélectionnée sur les comportements agressifs des mâles : la lignée Bully. Comparée à la lignée de référence Canton-S (Cs), la lignée Bully présente une agressivité nettement plus marquée et exacerbée, qualifiée d’hyper-agressivité.
Des tests comportementaux ont révélé que les mâles Bully présentent une diminution de certains traits reproducteurs : une réduction de 25 % de la durée d’accouplement, une baisse du succès reproducteur et une efficacité moindre dans la garde du partenaire. En revanche, ces mâles montrent une longévité accrue par rapport aux mâles Cs. Ces résultats suggèrent que, chez les mâles Bully, la sélection en faveur de l’agressivité s’est faite au détriment du succès reproducteur, mais au bénéfice de la longévité, modifiant ainsi l’équilibre entre les investissements dans la survie et la reproduction.
Bien que la sélection ait été appliquée uniquement sur les mâles, des modifications notables ont également été observées chez les femelles Bully. Celles-ci présentent une agressivité réduite, une fertilité plus faible, ainsi qu’une capacité de survie amoindrie en conditions extrêmes. Ces altérations mettent en lumière un principe fondamental de l’évolution : le conflit sexuel. Selon ce concept, la sélection naturelle favorise chez les mâles les stratégies visant à maximiser le nombre de partenaires sexuels et donc le nombre de descendants, tandis qu’elle favorise chez les femelles un investissement important dans les ressources allouées à la reproduction, avec un nombre plus limité d’accouplements. Cette divergence d’investissement dans la reproduction engendre une véritable course aux armements entre les sexes, tant sur le plan comportemental que physiologique. Cette dynamique se manifeste notamment à travers la modification de la fertilité et de la longévité dans la lignée Bully.
Nous avons également tiré parti des données génétiques existantes sur la lignée Bully, qui révèlent neuf gènes exprimés différemment par rapport à la lignée Cs, afin de mieux comprendre commen s’effectue la régulation de la durée d’accouplement et du succès reproducteur, deux traits altérés chez les mâles Bully. En combinant des approches de mutations et/ou d’ARN interférent, nous avons identifié deux gènes candidats impliqués dans la régulation de ces comportements. L’inhibition ciblée de leur expression dans des populations neuronales sexuellement dimorphiques, connues pour leur rôle dans les comportements reproducteurs, a permis de démontrer que ces gènes sont nécessaires au maintien d’une durée d’accouplement conforme à celle de la lignée Cs. |
Life-history traits encompass all phenotypic characteristics directly linked to fitness, that is, the number of viable and fertile offspring produced by an individual. A change in one of these traits generally leads to an opposite change in another trait, reflecting the evolutionary trade-offs organisms must face. Two major trade-offs are particularly well documented: the balance between pre- and post-copulatory investment, and the trade-off between survival and reproduction.
Although aggressiveness is not, strictly speaking, a life-history trait, it plays a crucial role in gaining and defending access to key resources, such as food, territory, or sexual partners, thereby indirectly influencing fitness. Numerous studies have shown that more aggressive individuals tend to secure better access to these resources, resulting in an increase in their reproductive success.
In this thesis, we investigated the impact of excessive aggressiveness on life-history traits, and consequently on the evolutionary trade-offs that regulate them. We also explored the genetic and neurobiological mechanisms underlying some reproductive behaviors involved in these trade-offs. To do so, we used a Drosophila melanogaster line selected for male aggressive behavior: the Bully line. Compared to the reference Canton-S (Cs) line, the Bully line exhibits significantly increased and exaggerated levels of aggressiveness, referred to as hyper-aggressiveness.
Our results revealed that Bully males show a reduction in several reproductive traits: a 25% decrease in copulation duration, reduced reproductive success, and lower efficiency in mate guarding. In contrast, these males display increased longevity compared to Cs males. These results suggest that, in males, selection for aggressiveness in the Bully line has come at the expense of reproductive success, but has favored increased longevity, thus impacting the trade-off between investment in survival versus reproduction.
Although selection was applied only to males, significant changes were also observed in Bully females. These females exhibit reduced aggressiveness, lower fertility, and decreased survival under extreme conditions. These changes highlight a fundamental concept in evolutionary biology: sexual conflict. According to this theory, natural selection favors male strategies that maximize the number of sexual partners and the number of offspring produced, while in females it favors greater investment needed in reproduction, in a limited number of matings. This divergence in reproductive investment leads to an evolutionary arms race between the sexes, both behaviorally and physiologically. This dynamic is clearly reflected by the changes in fertility and longevity observed in the Bully line.
We also made use of existing genetic data on the Bully line, which identified nine genes differentially expressed compared to the Cs line, in order to better understand how mating duration and reproductive success are regulated, two traits impacted in Bully males. Using mutant and RNA interference approaches, we identified two candidate genes involved in the regulation of these behaviors. Targeted repression of their expression in sexually dimorphic neuronal populations, reported to play roles in reproductive behaviors, demonstrated that these genes are necessary to maintain a mating duration comparable to that of the Cs line. |