L’accélération de la mondialisation, des changements environnementaux et de l’urbanisation ces dernières décennies sont à l’origine de défis majeurs en matière de santé et de bien-être animal. Des évènements tels que les pandémies de grippe A (H1N1) ou de COVID-19 ont mis en lumière la vulnérabilité des systèmes alimentaires mondiaux face à des crises sanitaires multisectorielles de plus en plus complexes et aux conséquences difficilement prévisibles. Afin de renforcer leurs capacités de réponse aux crises, de nombreux pays et organisations se sont dotés de systèmes de gestion multirisques (Incident Management System ou IMS) permettant une approche standardisée et systématique de tout type d’incident.
Toutefois, la gestion de la santé et du bien-être animal reste mal intégrée à ces systèmes. Celle-ci s’organise souvent de manière ad hoc et déconnectée de la réponse globale, conduisant à des problèmes de gestion de des ressources et de l’information. De plus, les modèles d’IMS ont été principalement développés par des pays occidentaux, et leur applicabilité à d’autres contextes socio-économiques reste peu explorée.
Ce travail basé sur une étude de cas s’articule autour de la question de recherche suivante : Quels sont les pratiques et besoins des acteur·ices de la filière avicole en Indonésie en matière de gestion de la santé animale, et dans quelles mesure les systèmes actuels de gestion des crises permettent-ils d’y apporter une réponse ?
La première partie de ce travail porte sur l’étude du secteur avicole en Indonésie, avec pour objectifs d’illustrer les défis en santé animale par un cas concret et de décrire l’impact et les éventuelles barrières à la mise en place des politiques de gestion. 41 entretiens semi-directifs ont été réalisé auprès de 56 acteur·ices de la filière avicole dans cinq provinces d’Indonésie en juillet 2022, afin d’explorer leurs priorités, besoins et capacités en termes de gestion de la santé animale. Dans la seconde partie de ce travail, 33 entretiens avec 45 acteur·ices d’organisations internationales ont été réalisés de mai à juillet 2024 afin de décrire les principes communs des IMS internationaux et évaluer leur mise en pratique concrète. Enfin, l’applicabilité de ces cadres généraux à des contextes locaux spécifiques, à l’instar du système avicole indonésien, est discutée afin de proposer des pistes d’amélioration.
Les résultats ont révélé que la coordination internationale dans le cadre des IMS pâtit d’un manque d’interopérabilité des systèmes d’information et de communication ainsi que de la persistance de silos disciplinaires. Au niveau local, l’étude du cas indonésien a montré un impact limité des systèmes officiels de surveillance et de gestion en santé animale, et révélé le rôle prépondérant des prestataires de service privés (vétérinaires, compagnies pharmaceutiques, etc.) dans la dissémination d’information en situation de crise. La forte compartimentalisation des secteurs public et privé, le manque d’interopérabilité des données de production ainsi que la dominance des canaux de communication informels contribuent à une gestion en silo des crises sanitaires. La réponse internationale standard, centrée sur la détection et l’éradication des foyers, apparait peu adaptée à un contexte d’endémie et de ressources limitées dans lequel la gestion des maladies infectieuses animales n’est pas perçue comme une priorité par rapport à d’autres enjeux politiques, économiques et environnementaux.
Si les IMS contribuent à répondre aux besoins en termes de coordination et de gestion de l’information lors des crises, leur opérationnalisation tant au niveau international que local rencontre encore des obstacles. Il convient de repenser l’échelle d’application de ces systèmes, d’impliquer les parties prenantes dans le processus décisionnel, et de renforcer la mémoire organisationnelle pour s’assurer que les leçons tirées se traduisent par des changements significatifs. |
The acceleration of globalization, environmental changes, and urbanization in recent decades have created major challenges for animal health and welfare. Events such as the 2009 influenza A (H1N1) and COVID-19 pandemics have highlighted the vulnerability of global food systems to increasingly complex multisectoral health crises with unpredictable consequences. In order to strengthen their response capabilities, many countries and organizations have adopted all-hazards incident management systems (IMS) to support a standardized and systematic response to all types of incidents.
However, animal health and welfare management remains poorly integrated into these systems. Veterinary interventions are often organized on an ad hoc basis and disconnected from the overall response, leading to suboptimal management of resource and information. Furthermore, IMS models have been developed mainly by Western countries, and their applicability to other socio-economic contexts remains largely unexplored.
This case study-based work focuses on the following research question: What are the practices and needs of stakeholders in the Indonesian poultry sector in terms of animal health management, and to what extent can current incident management systems address these needs?
The first part of this work focuses on the study of the poultry sector in Indonesia to illustrate animal health challenges and to describe the impact and potential barriers to the implementation of management policies in a specific context. 41 semi-structured interviews were conducted with 56 public and private stakeholders in the poultry industry in five provinces of Indonesia in July 2022 to explore their priorities, needs, and capacities in terms of animal health management. In the second part of this work, 33 interviews with 45 actors from international organizations were conducted from May to July 2024 to describe the common principles of international IMS and evaluate their practical implementation. Finally, the applicability of these general frameworks to specific local context (such as the poultry sector in Indonesia) is critically discussed and pathways for improvement are suggested.
The results revealed that coordination in international responses suffers from a lack of interoperability between information and communication systems, as well as the persistence of disciplinary silos. At the local level, the Indonesian case study showed that official animal health surveillance and management systems had a limited impact and revealed the predominant role of private service providers (veterinarians, pharmaceutical companies, etc.) in disseminating information during crises. The strong compartmentalization between the public and private sectors, the lack of interoperability of production and health data, and the dominance of informal communication channels contribute to the siloed management of health crises. The conventional international response, centered on the detection and eradication of outbreaks, appears ill-suited in a context of endemicity and limited resources, where infectious animal diseases are not perceived as a priority compared to other political, economic, and environmental issues.
While IMS help to meet the needs for coordination and information management during crises, their operationalization both at the international and local levels still faces obstacles. There is a need to re-thing the scale of application of these systems, involve all stakeholders in the decision-making process, and strengthen organizational memory to ensure that lessons learned translate into meaningful changes. |