Il y a plus de 50 000 ans, des représentants de la lignée néandertalienne ont atteint l’extrémité orientale de la steppe euro-sibérienne, dans les contreforts montagneux de l’Altaï. L’éloignement géographique de ces Néandertaliens « orientaux » par rapport aux principales aires culturelles attribuées à ce taxon soulève des questions sur leur variabilité phénotypique : est-elle identique à celle des groupes ouest-eurasiatiques ou reflète-t-elle des traits morphologiques « régionaux » ? Une autre interrogation majeure concerne l’origine de l’accumulation de ces restes humains dans les cavités de l’Altaï. En effet, ces dernières ont également été fréquentées, durant le Pléistocène supérieur, par des grands carnivores susceptibles d’avoir contribué à la formation de ces assemblages. Naturellement, l’Homme constitue un autre agent potentiellement responsable de l’accumulation des fossiles humains dans ces sites.
La grotte de Chagyrskaya recèle le corpus paléoanthropologique le plus riche de Sibérie et d’Asie centrale pour le Paléolithique moyen. Pour la première fois, cette collection a été analysée de manière synthétique afin de caractériser la variabilité phénotypique des individus identifiés et documenter certains aspects de leur comportement, notamment ceux liés à la gestion des défunts.
Nos résultats ont révélé que la morphologie et les dimensions de leurs restes cranio-dentaires s’inscrivent bien dans la variation phénotypique néandertalienne, avec toutefois quelques spécificités. L’analyse des atteintes ante mortem sur les tissus dentaires nous a fourni un aperçu de leur état sanitaire bucco-dentaire et de certains comportements liés à l’utilisation de leur dentition au cours d’activités para-masticatoires. Les éléments infra-crâniens s’inscrivent globalement bien dans la variation morphométrique néandertalienne. Néanmoins, certains spécimens adultes présentent des traits dont l’expression ou le degré de développement les distinguent de cette dernière. La bonne préservation du matériel infra-crânien suggère un enfouissement rapide et une faible influence des carnivores dans la constitution de l’assemblage. L’étude des surfaces osseuses a également révélé, sur neuf pièces, des modifications linéaires dont les caractéristiques macroscopiques coïncident avec celles de traces de découpe causées par un tranchant lithique. D’après leur disposition, elles résulteraient de gestes visant à désarticuler et décharner le corps, ou des portions de corps, d’au moins un adulte. L’analyse microscopique et morphométrique des profils transverses des modifications linéaires décrites comme étant des traces de découpe soutient cette interprétation. À cela s’ajoute des traces de dents correspondant potentiellement à des marques de manducation humaine, indiquant qu’il pourrait s’agir de restes humains cannibalisés. Nous avons estimé un nombre minimum de huit individus d’âges variés, dont tout ou partie des corps ont été accumulés dans la cavité. L’analyse de la mortalité de cette population a révélé une anomalie démographique pouvant traduire une crise de mortalité non naturelle. L’étude quantitative de la collection indique que les restes humains ont été traités différemment des vestiges d’ongulés découverts dans les mêmes unités stratigraphiques. Quant à leur répartition spatiale, elle est globalement aléatoire et indique qu’il est probable qu’au moins certains segments entiers de corps ont été accumulés dans le site.
Les questions soulevées par la présence de modifications d’origine anthropique sur plusieurs restes humains nous ont amenés à proposer une nouvelle terminologie pour discuter des différents contextes dans lesquels ces types de traces peuvent être produites. Cela nous a aidé à identifier les scénarios les plus probables permettant d’expliquer l’accumulation de ces fossiles néandertaliens dans la cavité de Chagyrskaya.
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Over 50,000 years ago, representatives of the Neanderthal lineage reached the easternmost edge of the Euro-Siberian steppe, in the mountainous foothills of the Altai. The geographic isolation of these "eastern" Neanderthals from the main cultural areas typically associated with this taxon raises questions about their phenotypic variability: is it consistent with that of western Eurasian groups, or does it reflect distinctive “regional” morphological traits? Another major issue concerns the origin of the accumulation of human remains in the Altai caves. These sites were also frequented during the Late Pleistocene by large carnivores, which may have contributed to the formation of these assemblages. Naturally, humans themselves constitute another potential agent responsible for the accumulation of hominin fossils at these sites.
Chagyrskaya Cave holds the richest Middle Paleolithic paleoanthropological assemblage of Siberia and Central Asia. For the first time, this collection has been analyzed in a comprehensive manner to characterize the phenotypic variability of the identified individuals and to document certain behavioral aspects, particularly those related to mortuary practices.
Our results show that the morphology and dimensions of the cranial and dental remains fall within known Neanderthal phenotypic variation, albeit with some specific features. The analysis of ante mortem alterations to dental tissues provided insights into the individuals’ oral health as well as behaviors involving non-masticatory use of the dentition. The postcranial elements also largely conform to Neanderthal morphometric variation. However, certain adult specimens exhibit traits whose expression or degree of development deviate from the typical pattern. The good preservation of the postcranial material suggests rapid burial and minimal involvement of carnivores in the formation of the assemblage. Surface analysis of the bones revealed, on nine specimens, linear modifications whose macroscopic characteristics are consistent with cut marks made by a stone tool. Based on their distribution, these marks likely resulted from actions aimed at disarticulating and defleshing the body, or parts of the body, of at least one adult individual. Microscopic and morphometric analyses of the cross-sectional profiles of these linear modifications support their identification as cut marks. In addition, tooth marks consistent with human chewing were observed, suggesting that some of the remains may have been cannibalized. A minimum of eight individuals of varying ages were identified, whose bodies—either complete or partial—were deposited in the cave. Mortality profile analysis revealed a demographic anomaly suggestive of a non-natural mortality event. Quantitative study of the collection indicates that the human remains were treated differently from the ungulate remains found in the same stratigraphic units. Finally, their spatial distribution appears broadly random and indicate that at least some entire body segments were deposited within the site.
The questions raised by the presence of anthropogenic modifications on several human remains led us to propose a new terminology to discuss the different contexts in which these types of marks may be produced. This helped us identify the most probable scenarios to explain the accumulation of these Neanderthal fossils in the Chagyrskaya Cave.
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