Les estuaires, zones de transition entre le fleuve et l’océan de grandes quantités de sédiments et de nutriments essentiels aux écosystèmes côtiers, sont soumis aux marées océaniques d’une part et aux débits fluviaux d’autre part. Ces forçages conditionnent l’hydrodynamique estuarienne, et leurs interactions complexes déterminent les structures sédimentaires et salines, qui évoluent en fonction des cycles de marées, des saisons et à l’échelle interannuelle. Dans le cas du delta du Fleuve Rouge (Vietnam), système vulnérable aux changements globaux, la dynamique estuarienne est particulièrement complexe en raison de l’influence des typhons, du régime de mousson et des variations saisonnières associées des conditions atmosphériques et du débit fluvial, et de la variabilité interannuelle.
Cette thèse se concentre sur la réponse, à des échelles temporelles variées, de la dynamique hydrosédimentaire de l’estuaire de la rivière Van Uc, troisième bras du delta du Fleuve Rouge, aux différents forçages. Elle s’appuie pour cela sur des méthodes complémentaires d’observations in situ et de modélisation numérique.
Trois campagnes de mesures ont été réalisées et ont permis d’étudier l’évolution de la salinité, des vitesses et de la turbidité à haute fréquence temporelle et spatiale en période de vives-eaux et sous une large gamme de débits. Parallèlement, une modélisation tridimensionnelle a été effectuée à l’aide du modèle hydrodynamique SYMPHONIE, spécifiquement adapté à l'estuaire de la Van Uc. En complément, le modèle de transport sédimentaire MUSTANG a été utilisé pour simuler le transport des sédiments fins, testant leur réponse aux différents forçages environnementaux.
Les résultats montrent que l’estuaire de la Van Uc est dominé par le flot et que l’amplitude de l’onde de marée reste constante en aval de l’estuaire, puis est atténuée en amont. La salinité progresse depuis l’embouchure vers l’amont avec le cycle de marée, atteignant un maximum au début du jusant. Lors des mortes-eaux, une circulation estuarienne se développe, accompagnée d'une forte stratification dans la zone de l'intrusion saline. En vives-eaux, le mélange vertical augmente et la circulation estuarienne est restreinte à l'aval. Lors des vives-eaux, la limite de flot (position où la renverse des courants produite par la marée disparaît) se situe plus en amont dans la couche de surface que dans la couche de fond. En mortes-eaux, l’inverse se produit en raison de la circulation estuarienne plus stablement installée. Les vives-eaux et les forts débits favorisent l’asymétrie et l’atténuation de l’onde de marée. En vives-eaux, la concentration maximale en sédiments en suspension, bien que relativement faible (< 500 mg/l), a été mesurée dans la couche de fond lors de l’arrivée de la salinité. Les premières simulations sédimentaires sont globalement capables de reproduire les variations entre mortes-eaux et vives-eaux. L’intrusion saline est très largement influencée par le débit. Lorsqu’il est élevé, celui-ci repousse limite de flot, la salinité et la région stratifiée vers l'embouchure (la remontée de l’intrusion saline a été mesurée à 4 km en amont de l’embouchure). Les débits faibles, eux, favorisent sa remontée vers l’amont (intrusion mesurée à 13 km dans le cas de débits médians et simulés 32 km en saison sèche).
Enfin, l’estuaire se situe dans une région où les débits, ainsi que les marées, varient fortement à l’échelle interannuelle en raison, respectivement, de l’oscillation australe El Niño (ENSO) et de la variation du cycle nodal lunaire (18,6 ans), induisant une forte modulation interannuelle de l’équilibre entre ces forçages. À une échelle plus large, des impacts exacerbés par les changements globaux sont à prévoir. L’étude de l'estuaire de la Van Uc, combinant des problématiques physiques, humaines et écologiques, et les défis méthodologiques associés, se place donc au cœur d’enjeux environnementaux et scientifiques contemporains absolument cruciaux. |
Estuaries, which are transition zones between rivers and oceans, are crucial for transporting large amounts of sediment and nutrients essential for coastal ecosystems. They are influenced by tidal forces and river flows. These external forces affect the hydrodynamics, and their complex interactions determine the sedimentary and saline structures, which vary according to tidal cycles, seasonal changes, and at interannual scales. In the case of the Red River Delta in Vietnam, the estuarine dynamics are particularly interlinked due to the influence of the monsoon regime, typhoons, and variations in river flow across seasons and years, making this system highly vulnerable to global changes.
This thesis focuses on the response of the Van Uc estuary, a distributary of the delta, to various external forces and at different temporal scales, using complementary methods of in situ observations and numerical modeling. Three measurement campaigns have been conducted and have contributed to the study of the evolution of salinity, currents and turbidity at high temporal and spatial frequency during spring tides and under a wide range of flow conditions. In parallel, three-dimensional hydrodynamic simulations were performed using the SYMPHONIE model, specifically adapted to the Van Uc estuary. Additionally, the sediment transport model MUSTANG was used to simulate the transport of fine sediments, evaluating their response to various environmental forces.
The Van Uc estuary is dominated by the inflow, and the amplitude of the tidal wave remains constant downstream of the estuary but is attenuated upstream. On a tidal scale, salinity progresses from the mouth to upstream with the tidal cycle, reaching a maximum at the beginning of the ebb tide. During neap tides, an estuarine circulation develops, accompanied by strong stratification up to the limit of saline intrusion. During spring tides, the mixing in the water column increases, reducing stratification and limiting estuarine circulation downstream. The flood limit (position where the reversal of currents produced by the tide vanishes) occurs further upstream in the surface layer than in the bottom layer. During neap tides, it is the opposite due to the established estuarine circulation. Spring tides and high river flows favor tidal asymmetry and attenuation of the tidal wave. During spring tides, the maximum suspended sediment concentration, although relatively small (below 500 mg/l), was measured during the arrival of salinity. The initial sedimentary simulations were generally able to reproduce the variations between neap and spring tides.
Saline intrusion is heavily influenced by river flow, with high flows pushing salinity back towards the mouth, while low flows favor its extension upstream. The measurement campaigns allowed to track the evolution of saline intrusion and stratification, showing a reduction in the length of saline intrusion (measured at 4 km upstream of the mouth) and the stratified region during high flows compared to lower flows (intrusion measured at 13 km upstream). The flood limit is also greatly influenced by river flow, being pushed further downstream during high flows.
Finally, the estuary is situated in a region where river flows and tides vary greatly on an interannual scale, due to El Niño-Southern Oscillation (ENSO) and variation of the lunar nodal cycle (18.6 years), respectively. This indicates a significant interannual modulation of the balance between these forces. At a larger scale, impacts exacerbated by climate change and human activities (dams, dredging) are expected. This evolving dynamics places the Van Uc estuary at the center of contemporary environmental and scientific issues, combining physical, human, and ecological challenges. |