Ce travail de thèse s’inscrit dans une démarche visant à reconsidérer les capacités relationnelles des personnes âgées atteintes de MNE à un stade sévère. Il s’appuie sur le concept de reconnaissance implicite, entendu comme la capacité à reconnaître autrui sans recours à des processus cognitifs explicites, perceptibles par des indices non verbaux, émotionnels ou interactionnels. Cette approche invite à reconnaître que, malgré l’altération des fonctions cognitives, certaines traces de lien peuvent encore s’exprimer par des gestes, des regards ou des réactions émotionnelles.
L’étude 1 portait sur le sentiment de reconnaissance des soignants travaillant en EHPAD. Elle visait à comprendre comment ces derniers identifient et interprètent les manifestations non verbales de reconnaissance chez les résidents atteints de MNE. Les résultats ont mis en évidence une sensibilité différenciée à ces manifestations selon l’expérience, le rôle professionnel et la proximité relationnelle avec les personnes accompagnées. Les soignants les plus impliqués dans les soins quotidiens semblaient plus enclins à repérer des signes discrets de reconnaissance implicite, qu’ils reliaient à une forme de continuité du lien au-delà de l’évolution des symptômes.
L’étude 2 s’intéressait au vécu des familles (conjoints et enfants) dont un proche était atteint d’une MNE à un stade sévère. Elle explorait les formes de reconnaissance perçues, les émotions associées et l’impact de la relation antérieure sur l’interprétation de ces manifestations. Les résultats ont montré que les familles rapportaient majoritairement des signes de reconnaissance implicite en particulier à travers les regards, les gestes ou certaines réactions émotionnelles. Ce vécu, modulé par l’histoire du lien avec le parent / le conjoint atteint de MNE, la place occupée dans la famille et les attentes relationnelles, faisait émerger des sentiments ambivalents mêlant tristesse, colère, impuissance et découragement.
L’étude 3 avait pour objectif d’évaluer la reconnaissance implicite de l’expérimentateur à travers un protocole longitudinal mené auprès de 40 participants atteints de MNE à un stade sévère. L’analyse des interactions verbales et non verbales a permis de mettre en avant l’émergence progressive de comportements de reconnaissance. Ces manifestations, observées et codées par plusieurs observateurs indépendants, s’inscrivent dans une dynamique relationnelle impliquant la régularité des interactions, les indices émotionnels ainsi qu’un appui sur la mémoire implicite. Si la reconnaissance de l’expérimentateur s’est révélée significativement plus fréquente en condition positive, elle a néanmoins été observée dans les deux valences (positive et neutre), suggérant l’existence d’un apprentissage relationnel malgré le déficit mnésique explicite. Cette étude met ainsi en évidence que, malgré le stade sévère de la MNE, les personnes âgées demeurent capables de créer de nouveaux liens et de reconnaître une personne nouvelle, dès lors qu’elles évoluent dans un espace relationnel contenant.
En articulant approches qualitative, expérimentale et clinique, ce travail de thèse invite à repenser les modalités de lien chez les personnes atteintes de MNE, à valoriser les compétences relationnelles préservées et à promouvoir une posture d’accompagnement fondée sur la reconnaissance implicite comme vecteur de continuité du soin, du lien et de la subjectivité. |
This doctoral research aims to reconsider the relational capacities of older adults living with advanced-stage neuro-evolutionary diseases (NED). It draws on the concept of implicit recognition, understood as the ability to recognize another person without relying on explicit cognitive processes, through nonverbal, emotional or interactional cues. This approach suggests that, despite significant cognitive impairment, subtle traces of connection may still be expressed through gestures, eye contact or emotional reactions.
Study 1 focused on the caregivers’ sense of being recognized while working in long-term care facilities. It explored how professional caregivers identify and interpret nonverbal signs of recognition among residents with NED. The results revealed a differentiated sensitivity to these manifestations depending on the caregiver’s professional role, level of experience, and the closeness of their relationship with the residents. Caregivers most involved in daily care were more likely to detect subtle signs of implicit recognition, which they associated with a sense of relational continuity despite the progression of symptoms.
Study 2 explored the experiences of family members (spouses and children) whose relative was living with advanced-stage NED. It examined perceived forms of recognition, the associated emotional responses, and the influence of the prior relationship on how these manifestations were interpreted. The findings showed that families frequently reported signs of implicit recognition, particularly through eye contact, gestures or certain emotional reactions. These experiences, shaped by the history of the relationship, family roles, and relational expectations, often gave rise to ambivalent feelings combining sadness, anger, helplessness and discouragement.
Study 3 aimed to assess implicit recognition of the experimenter through a longitudinal protocol involving 40 participants with advanced-stage NED. The analysis of verbal and nonverbal interactions revealed the progressive emergence of recognition behaviors. These manifestations, observed and coded by several independent raters, reflect a relational dynamic based on the regularity of interactions, the presence of emotional cues and the activation of implicit memory. While recognition of the experimenter was significantly more frequent in the positive condition, it was also observed in both emotional valences (positive and neutral), suggesting that relational learning can occur despite explicit memory deficits. This study highlights that, even in severe stages of NED, individuals remain capable of forming new bonds and recognizing a new person, provided they are engaged in a containing relational environment.
By combining qualitative, experimental, and clinical approaches, this dissertation invites a rethinking of relational dynamics in individuals living with NED. It underscores the value of preserved relational abilities and advocates for a caregiving stance grounded in implicit recognition as a vector of continuity in care, connection, and subjectivity. |