L’éthologie s’intéresse depuis longtemps à la division du travail chez les insectes sociaux. Chez les insectes sociaux, certaines espèces sont caractérisées par un polymorphisme de la caste ouvrière, où les individus présentent souvent un rôle directement lié à leur morphologie externe. Chez les fourmis présentant ce polymorphisme par exemple, les individus les plus gros, appelés généralement soldats, assurent la défense de la colonie. Cependant, il arrive qu’il soit plus difficile d’établir ce lien pour certaines tâches, comme c’est le cas du comportement de transport de charge chez les fourmis. La fourmi granivore Messor barbarus que nous avons étudiée dans cette thèse présente une division du travail dans le transport de charge parmi les ouvrières de différents morphes appelés minor, media et major, sans pour autant que cela puisse être expliqué simplement par les différences dans leur morphologie externe. Notre hypothèse est donc que cette division du travail pourrait être expliquée par des différences dans l’organisation et les propriétés biomécaniques de leur système musculo-exosquelettique.
Dans l’objectif de tester cette hypothèse, nous avons utilisé dans ce travail une approche biomécanique du comportement de transport de charge chez la fourmi, qui intègre la morphologie fonctionnelle et va jusqu’à créer des modèles numériques inspirés par la biorobotique. La biomécanique est depuis toujours appliquée à la compréhension des structures et mécanismes impliqués dans la genèse du mouvement, et peut aujourd’hui proposer des simulations réalistes qui permettent, par exemple, de générer des patrons locomoteurs optimisant une contrainte. La comparaison avec l’expérimentation permet alors de répondre à certaines hypothèses faites sur l’émergence d’un patron locomoteur individuel voire collectif. Cette démarche est appelée ingénierie inversée. Développée ici spécifiquement à l’échelle de la fourmi, cette approche nous a permis d’étudier la coordination des différents segments d’un même individu (partie IV) voire de plusieurs dans le cas du transport collectif (partie VI), et d’aborder la coordination des muscles qui contrôlent la tête d’une fourmi lorsqu’elle transporte une charge entre ses mandibules (partie V).
Pour en arriver à ces résultats qui restent encore préliminaires, nous avons développé un modèle numérique réaliste du système musculaire des fourmis avec le logiciel Opensim, ce qui a nécessité d’intégrer des données structurelles identifiées grâce à la microtomographie par rayon X (partie III) et des données cinématiques 3D reconstruites à partir de caméras de haute résolution synchronisées (partie IV). Notre avatar numérique nécessite d’être achevé, cependant, il a déjà permis d’optimiser les données cinématiques 3D, de discuter des rôles attribués aux différents muscles du thorax et d’aborder la coordination dynamique de différents muscles impliqués dans le contrôle d’une articulation. A terme ce modèle pourra être développé et adapté pour être appliqué à des ouvrières de différentes morphologies comme celles rencontrées chez l’espèce Messor barbarus. Il permettra alors peut-être d’expliquer l’origine des différentes performances observées dans le transport de charge entre individus de différents morphes chez cette espèce. Il pourrait aussi faire le lien entre les différentes approches intéressées par le comportement des fourmis : la phylogénie, l’écologie, la biologie, l’éthologie, la biomécanique et le biomimétisme. |
Division of labour in social insects has long been a topic of interest in ethology. Among social insects, some species are characterized by a polymorphism of the worker caste, where the role of individuals in the colony is often directly linked to their external morphology. In some of these species, for example, the largest individuals, generally called soldiers, defend the colony. However, it is sometimes more difficult to establish this link for certain tasks, such as load-carrying in ants. A case in point is he granivorous ant Messor barbarus that we studied in this thesis. This species shows a division of labour in load carrying among workers of its different morphs called minor, media and major, that cannot be explained simply by differences in their external morphology. Our hypothesis is that this division of labour could be explained by differences in the characteristics of the muscular system of the individuals, as well as by the organization and biomechanical properties of their exoskeleton.
In order to test this hypothesis, we have used in this work a biomechanical approach to study load-carrying behaviour in ants, which integrates functional morphology and even goes so far as to create numerical models inspired by biorobotics. Biomechanics has always been applied to understanding the mechanisms that generate movement and their efficiency. It can now also offer realistic simulations that can be used, for example, to generate locomotor patterns that optimize a constraint. Comparison with experimentation can then provide answers to certain hypotheses about the emergence of an individual, or even collective, locomotor pattern. This approach is known as reverse engineering. Developed here specifically at the scale of the ant, this approach has enabled us to study the coordination of the different segments of a single individual (part IV), or even several segments in the case of collective transport (part VI), and to address the question of the coordination of the muscles that control the head of an ant when it carries a load in its mandibles (part V).
To achieve these results, which are still preliminary, we developed a realistic digital model of the ant muscular system using the Opensim software, which involved integrating structural data identified through X-ray microtomography (part III) and 3D kinematic data reconstructed from videos acquired by synchronized high-resolution cameras (part IV). Our digital avatar has yet to be completed, but it has already been used to optimize our 3D kinematic data, to discuss the roles assigned to the different muscles of the thorax and to address the dynamic coordination of the different muscles involved in joint control. Ultimately, this model could be developed and adapted for application to workers of different morphologies, such as those found in the species Messor barbarus. It may then be used to explain the origin of the different load-carrying performances observed between individuals of different morphs in this species. It could also provide a link between the different approaches used to understand the origin and underlying mechanisms of ant behavior, i.e., phylogeny, ecology, biology, ethology, biomechanics and biomimetics. |