Dans le système éducatif français, le passage anticipé (appelé également saut de classe ou raccourcissement de cycle) est l’une des manières d’accélérer la scolarité d’un élève, c’est-à-dire de réduire la durée de son parcours scolaire. Cette décision est prise au sein de l’établissement par les équipes, et s’appuie généralement sur les performances scolaires de l’élève plutôt que sur un protocole d’identification standardisé, ce qui se traduit par des pratiques hétérogènes selon les contextes. À l’international, cette pratique est souvent considérée comme une réponse adaptée aux besoins des élèves identifiés comme gifted/talented.
Ce décalage dans la mise en oeuvre de l’accélération rend les résultats internationaux difficilement transposables au contexte français et conduit à interroger, au-delà des performances, ce qui caractérise effectivement les élèves en avance. Cette thèse a pour objectif d’examiner si les élèves en avance présentent des caractéristiques motivationnelles, affectives et d’autorégulation qui les distinguent de leurs pairs.
Deux études complémentaires ont été conduites.
La première étude compare les élèves en avance à des pairs de même âge et à des pairs de même classe (N = 283 ; CM1 à l’heure, CM2 à l’heure, CM2 en avance). Elle examine trois dimensions motivationnelles (sentiment d’efficacité personnelle ou SEP, intérêt académique, buts d’accomplissement) et trois dimensions affectives (anxiété dispositionnelle, satisfaction de vie, disposition à l’ennui), ainsi que trois indicateurs de performance académique (français, mathématiques, compréhension écrite). Les résultats montrent que les CM2 en avance obtiennent des scores supérieurs en français (vs CM1 et CM2) et en mathématiques (vs CM1), sans différence en compréhension écrite ; ils présentent un SEP scolaire plus élevé que les CM1 et les CM2 à l’heure, tandis que les buts de maîtrise-évitement (BME) sont plus élevés chez l’ensemble des CM2 (à l’heure et en avance) que chez les CM1 ; aucune différence n’apparaît sur les variables affectives. Les différences observées concernent principalement les performances et certaines dimensions motivationnelles.
La seconde étude vise à rechercher d’éventuelles différences de stratégies d’apprentissage autorégulé (SAAR) non mises en évidence dans la première étude. Pour cela, nous avons constitué trois groupes comparables au plan des performances mais d’âges et de niveaux de classe différents (CM1 performants, CM2 moyens, CM2 en avance ; N = 12 par groupe). Des différences significatives apparaissent entre les groupes pour deux mesures : un SEP scolaire plus élevé chez les CM2 en avance que chez les CM1 performants, et des BME plus élevés chez les CM2 en avance que chez les CM2 moyens ; aucune autre différence significative n’est observée, ni pour les autres dimensions motivationnelles, ni pour les variables affectives, ni pour les SAAR.
Ces résultats indiquent que, dans notre échantillon, le passage anticipé est d’abord associé au niveau de performance scolaire des élèves, plutôt qu’à des caractéristiques motivationnelles, affectives ou d’autorégulation qui distingueraient les élèves en avance des autres.
Le passage anticipé peut ainsi être compris comme une resynchronisation, qui place l’élève avec des pairs plus âgés dans un contexte scolaire correspondant davantage à son rythme d’apprentissage. Sur le plan des pratiques professionnelles, l’harmonisation des critères de décision permettrait de limiter l’hétérogénéité des pratiques et de mieux en cerner les implications.
Cependant, les limites de ces études, à savoir la rareté de la population des élèves en avance, les effectifs réduits, ainsi que le recours à des versions adaptées d’outils dont la validité n’a pas été testée, invitent à une interprétation prudente. |
In the French education system, grade skipping (also called skipping a grade or shortening a cycle) is one of the ways to accelerate students, that is, to shorten their time in school. This decision is made within the school by the teams and is generally based on the students’ academic performance rather than on a standardized identification protocol, which results in heterogeneous practices depending on the context. Internationally, this practice is often considered an appropriate response to the needs of students identified as gifted/talented.
This discrepancy in the implementation of acceleration makes international findings difficult to transpose to the French context and leads us to question, beyond performance, what actually characterizes accelerated students. This thesis aims to examine whether accelerated students present motivational, affective, and self-regulation characteristics that distinguish them from their peers.
Two complementary studies were conducted.
The first study compares accelerated students with same-age peers and same-grade peers (N = 283; Grade 4 on-time, Grade 5 on-time, Grade 5 accelerated). It examines three motivational dimensions (self-efficacy or SE, academic interest, achievement goals) and three affective dimensions (trait anxiety, life satisfaction, boredom proneness), as well as three indicators of academic performance (French, mathematics, reading comprehension). The results show that accelerated Grade 5 students obtain higher scores in French (vs Grade 4 and Grade 5) and in mathematics (vs Grade 4), with no difference in reading comprehension; they display higher academic self-efficacy than on-time Grade 4 and Grade 5 students, while mastery-avoidance goals are higher among all Grade 5 students (on time and accelerated) than among Grade 4; no differences appear on the affective variables. The observed differences mainly concern performance and certain motivational dimensions.
The second study seeks to identify possible differences in self-regulated learning strategies (SRLS) not revealed in the first study. To this end, we formed three groups comparable in terms of performance but differing in age and grade level (high-performing Grade 4, average Grade 5, accelerated Grade 5; N = 12 per group). Significant differences appear between the groups for two measures : higher academic self-efficacy in accelerated Grade 5 than in high-performing Grade 4, and higher mastery avoidance goals in accelerated Grade 5 than in average Grade 5; no other significant difference is observed, neither for the other motivational dimensions, nor for the affective variables, nor for the SRLS.
These results indicate that, in our sample, grade skipping is primarily associated with students’ level of academic performance rather than with motivational, affective, or self-regulation characteristics that would distinguish accelerated students from others.
Grade skipping can thus be understood as a resynchronization, placing the student with older peers in a school context more consistent with their learning pace. From a professional practice perspective, harmonizing decision-making criteria would help reduce the heterogeneity of practices and clarify their implications.
However, the limitations of these studies (the low prevalence of accelerated students, the small sample sizes, and the use of adapted versions of instruments whose validity has not been tested) call for a cautious interpretation. |