Soutenance de thèse de Déborah FEDERICO

Apprentissage social conformiste, évolution culturelle et coévolution gènes-culture dans le contexte du choix de partenaire : une approche de modélisation


Titre anglais : Conformist social learning, cultural evolution and gene-culture coevolution in the context of mate choice: a modeling approach.
Ecole Doctorale : SEVAB - Sciences Ecologiques, Vétérinaires, Agronomiques et Bioingenieries
Spécialité : Ecologie, biodiversité et évolution
Etablissement : Université de Toulouse
Unité de recherche : UMR 5300 - CRBE - Centre de Recherche sur la Biodiversité et l'Environnement


Cette soutenance a eu lieu jeudi 19 décembre 2024 à 14h00
Adresse de la soutenance : Bâtiment 4R1, laboratoire CRBE 118 Rte de Narbonne, 31400 Toulouse - salle salle de conférence bâtiment 4R1

devant le jury composé de :
Jean-Baptiste FERDY   Professeur des universités   Université Toulouse III - Paul Sabatier   Directeur de thèse
Alexandre COURTIOL   Senior researcher   Leibniz Institute for Zoo and Wildlife Research   Rapporteur
Frédérique DUBOIS   Professeure   Université de Montréal   Rapporteur
Nicolas CLAIDIÈRE   Directeur de recherche   CNRS Provence et Corse   Rapporteur
Arnaud POCHEVILLE   Chargé de recherche   CNRS Occitanie Ouest   CoDirecteur de thèse
François-Xavier DECHAUME-MONCHARMONT   Professeur des universités   Université Claude Bernard Lyon 1   Examinateur
Alexandra MAGRO   Professeure   ENSFEA   Président


Résumé de la thèse en français :  

L'évolution culturelle, longtemps perçue comme propre à l'humain, est désormais étudiée chez un nombre croissant d'espèces animales. Parmi les exemples marquants figurent la transmission culturelle de chants chez certaines espèces d’oiseaux et de cétacés, ou de l’utilisation d’outils chez divers primates, et des études récentes suggèrent sa possibilité chez les invertébrés. Cette expansion de l'étude de l'évolution culturelle présente un double avantage : elle enrichit les exemples disponibles tout en encourageant une réflexion sur les mécanismes fondamentaux. Étudier l'évolution culturelle implique notamment deux objectifs interdépendants : mieux comprendre les mécanismes à l'origine de la transmission et de la variation des comportements culturels, et mieux comprendre les signatures populationnelles que ces forces évolutives génèrent, deux objectifs nécessaires pour prédire et détecter l'évolution culturelle au sein de populations naturelles.
Cette thèse s'intéresse en particulier au lien entre l'apprentissage social conformiste (un des mécanismes supposé des dynamiques culturelles, qui implique la copie des comportements majoritaires), et l'existence de traditions (une des signatures attendues de l'évolution culturelle). Pour analyser le lien entre conformisme et traditions, nous proposons dans ce travail un modèle de conformisme centré sur des mécanismes d'apprentissage à l'échelle individuelle. Contrairement à la plupart des modèles de conformisme développés jusqu'à présent, ce choix de modélisation nous permet de proposer une interprétation biologique des conditions d'émergence des traditions - et notamment, en termes de capacités cognitives et de stratégies d'apprentissage individuelles.
Nous utilisons ensuite ce modèle de conformisme dans un contexte comportemental particulier, celui du choix de partenaire. Malgré ses implications évolutives importantes et largement étudiées par les biologistes de l'évolution, le choix de partenaire a pour le moment reçu très peu d'attention dans le domaine de l'évolution culturelle. Dans cette thèse, nous explorons les conditions d'émergence de traditions dans le choix de partenaire à partir de modèles individus-centrés, dans lesquels les préférences des femelles sont transmises socialement par conformisme, tandis que les traits des mâles soumis à la préférence des femelles sont transmis génétiquement. Nous montrons tout d'abord que lorsque le choix de partenaire dépend exclusivement du conformisme, seul un conformisme qui renforce les comportements majoritaires à l'échelle populationnelle (l'hyper-conformisme) peut générer des traditions. Nous montrons ensuite qu'un contexte de coévolution gènes-culture peut se mettre en place si l'accès aux partenaires dépend de leur fréquence dans la population, ce qui favorise l'émergence de traditions. Lorsqu'une telle coévolution se met en place, l'hyper-conformisme n'est plus une condition nécessaire à l'émergence de traditions, et des capacités d'apprentissage beaucoup moins exigeantes suffisent alors. Nous montrons que la koinophilie, une stratégie proche du conformisme, produit des résultats similaires.
Ce travail de thèse esquisse un pont entre l'étude de l'évolution culturelle et celle du choix de partenaire et de la sélection sexuelle, en passant par l'étude de la coévolution gènes-culture. Il propose de revenir à une définition du conformisme centrée sur ses mécanismes, et suggère que les traditions ne proviennent pas nécessairement de capacités d'apprentissage social extrêmement développées. À partir des particularités du contexte de choix de partenaire, nos résultats permettent de mettre en évidence quelques pistes plus générales pour l'étude de l'évolution culturelle, comme l'importance de ne pas réduire l'évolution culturelle à ses mécanismes de transmission sociale, ou encore l'importance de ne pas négliger les effets de la coévolution gènes-culture, qui est probablement un phénomène répandu chez les espèces culturelles.

 
Résumé de la thèse en anglais:  

Cultural evolution, long considered unique to the human species, is now being studied in a growing number of animal species. Some of the most striking examples include the cultural transmission of songs in some bird and cetacean species, or tool use among various primates, and recent studies suggest its possibility in invertebrates. This broadening of the study of cultural evolution presents a dual benefit: it enriches the available examples while encouraging deeper reflection on the underlying mechanisms. Studying cultural evolution involves two interdependent objectives: better understanding the mechanisms underlying the transmission and variation of cultural behaviors, and better understanding the population-level signatures generated by these evolutionary forces. These two objectives are essential for predicting and detecting cultural evolution in natural populations.
This thesis focuses particularly on the relationship between conformist social learning (one of the mechanisms thought to drive cultural dynamics, which involves copying majority behaviors) and the existence of traditions (one of the expected signatures of cultural evolution). To analyze the link between conformity and traditions, this work proposes a model of conformity based on individual-level learning mechanisms. Unlike most conformity models developed to date, this modeling approach allowed us to propose a biological interpretation of the conditions for the emergence of traditions – particularly in terms of cognitive capacities and individual learning strategies.
We then apply this conformity model to a specific behavioral context: mate choice. Despite its significant evolutionary implications and the extensive attention it has received from evolutionary biologists, mate choice has so far been overlooked in the field of cultural evolution. In this thesis, we explore the conditions for the emergence of traditions in mate choice using individual-based models, where female preferences are socially transmitted through conformity, while male traits subject to female preference are genetically transmitted. First, we show that when mate choice depends exclusively on conformity, only hyper-conformity (i.e., a conformity that reinforces majority behaviors at the population level) can generate traditions. We then show that a gene-culture coevolutionary context can emerge if access to mates depends on their frequency in the population, which promotes the emergence of traditions. When such coevolution occurs, hyper-conformity is no longer a necessary condition for the emergence of traditions, and much less demanding learning capacities become sufficient. We show that koinophilia, a strategy closely related to conformity, produces similar results.
This thesis bridges the study of cultural evolution with that of mate choice and sexual selection, through the lens of gene-culture coevolution. It proposes a return to a mechanism-centered definition of conformity and suggests that traditions do not necessarily arise from highly developed social learning abilities. Based on the specificities of the mate choice context, our results highlight some broader insights for the study of cultural evolution, such as the importance of not reducing cultural evolution to its social transmission mechanisms, and the need to consider the effects of gene-culture coevolution, which is likely a widespread phenomenon in cultural species.

Mots clés en français :évolution,évolution culturelle,conformisme,coévolution gènes-culture,choix de partenaire,modélisation
Mots clés en anglais :   evolution,cultural evolution,conformity,gene-culture coevolution,mate choice,modelling