Soutenance de thèse de Antoine FIRMIN

La mixotrophie chez les plantes aquatiques : étude expérimentale d'un métabolisme méconnu


Titre anglais : Mixotrophy in aquatic plants: experimental study of an overlooked metabolism
Ecole Doctorale : SDU2E - Sciences de l'Univers, de l'Environnement et de l'Espace
Spécialité : Ecologie fonctionnelle
Etablissement : Université de Toulouse
Unité de recherche : UMR 5300 - CRBE - Centre de Recherche sur la Biodiversité et l'Environnement


Cette soutenance a eu lieu vendredi 14 avril 2023 à 14h00
Adresse de la soutenance : Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse Avenue de l'agrobiopole 31326 CASTANET-TOLOSAN Cedex - salle Amphithéatre Sabatier-Prunet

devant le jury composé de :
Arnaud ELGER   Maître de conférences   Université Toulouse III - Paul Sabatier   Directeur de thèse
Christophe DUNAND   Professeur des universités   Université Toulouse III - Paul Sabatier   CoDirecteur de thèse
Claudia COSIO   Professeure des universités   Université de Reims Champagne-Ardenne   Rapporteur
Florian MERMILLOD-BLONDIN   Directeur de recherche   CNRS - LEHNA   Rapporteur
Catherine FERNANDEZ   Professeure des universités   Université Aix-Marseille   Examinateur
Florent ARTHAUD   Maître de conférences   Université Savoie Mont Blanc   Examinateur
Magali GERINO   Professeure des universités   Université Toulouse III - Paul Sabatier   Président


Résumé de la thèse en français :  

Les plantes sont autotrophes pour le carbone du fait de leurs capacités photosynthétiques, avec par conséquent l’aptitude à produire leur propre matière organique à partir de matière minérale en utilisant l’énergie lumineuse. En tant que producteurs primaires, on les oppose donc classiquement aux consommateurs que sont les hétérotrophes. Or, la frontière entre ces deux formes de nutrition n’est plus si marquée depuis la découverte de la carnivorie chez certaines plantes, ainsi que la présence d’un métabolisme mixte chez de nombreux micro- organismes : la mixotrophie. De même, l’association très commune avec des microorganismes de la rhizosphère (mycorhizes) ou la présence d’endophytes peuvent parfois être à l’origine d’une alimentation carbonée indirecte de la plante par son symbionte, ce que l’on peut alors qualifier de mixotrophie biotrophe.
Les plantes aquatiques, éléments structurants des écosystèmes aquatiques, se développent dans des environnements naturellement contraignants et sont également soumises à de multiples pressions d’origine anthropique, comme les pollutions chimiques et les variations climatiques. Les écosystèmes aquatiques sont souvent riches en carbone organique dissous (COD), particulièrement en cas d’eutrophisation. Dans ces écosystèmes très productifs, l’eau est généralement turbide, ce qui limite la photosynthèse des végétaux immergés. La question de l’utilisation du COD pour leur nutrition carbonée peut alors être posée. La présente thèse avait pour objectif d’explorer la capacité de mixotrophie chez les plantes aquatiques, jusqu’alors très peu étudiée.
Des expériences menées au laboratoire sur Lemna minor et Myriophyllum spicatum ont conduit à confirmer la capacité mixotrophe chez ces deux plantes aquatiques pour lesquelles cela n’avait jamais encore été évoqué explicitement. Une croissance maintenue à l’obscurité en présence de sucre, ainsi qu’un taux de croissance augmenté de près de 50% à la lumière chez L. minor en présence de 10 g.L-1 de glucose figurent parmi les résultats les plus marquants. Un panel de petites molécules labiles du COD a été testé, de sorte à donner un premier aperçu des molécules utilisables par les plantes. Les sucres, notamment le saccharose et ses deux monomères glucose et fructose sont les molécules présentant les effets les plus marqués. Une approche transcriptomique a également été initiée afin de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et métaboliques à l'œuvre, et de soulever de nouvelles questions sur l’héritage ou l’apparition spécifique aux milieux aquatiques de telles capacités. Le séquençage de M. spicatum a été réalisé dans ce cadre. Cette espèce n’était en effet pas encore disponible dans les bases de données malgré son statut de plante modèle et sa position taxonomique clé. L’hypothèse d’un rôle des endophytes potentiellement présents a également été questionnée. Une approche selon trois axes (culture microbienne, recherche de gènes par biologie moléculaire (PCR) ou en analyse de contamination directement dans les génomes séquencés) a permis de démontrer l’absence d’endophyte chez les plantes étudiées, et d’attribuer les capacités mixotrophes directement aux plantes et non à un éventuel microbiote interne. Enfin, dans un contexte de contamination chimique, notamment par des herbicides inhibiteurs de la photosynthèse, la question de l’effet compensateur de la mixotrophie a été étudiée. Des résultats très prometteurs ont été obtenus chez L. minor : la présence de glucose à la concentration de 10 g.L-1 permet notamment de compenser totalement l’effet létal d’une concentration en isoproturon de 480 μg.L-1.
L’utilisation de COD par les plantes aquatiques pourrait ainsi constituer une alternative métabolique clé, permettant à certaines espèces de se développer en milieu pollué et/ou turbide. A la lumière de nos résultats, ce phénomène encore mal décrit de mixotrophie pourrait donc être à l’origine de capacités insoupçonnées chez de nombreuses plantes aquatiques.

 
Résumé de la thèse en anglais:  

Plants are known to be autotrophic, i.e. photosynthetic, with the ability to synthesise their own organic matter from mineral matter. They act as primary producers, as opposed to secondary consumers such as heterotrophs. However, the frontier between these two forms of nutrition is no longer so marked since the discovery of carnivorous mechanisms in certain plants, as well as the presence of a mixed metabolism in many micro-organisms. Aquatic plants, which are the true pillars of aquatic ecosystems, are subject to multiple pressures, accentuated by pollution and climate change. In addition, aquatic ecosystems are often rich in dissolved organic carbon (DOC), particularly in the case of eutrophication. In these highly productive ecosystems, the water is usually turbid, which limits photosynthesis by submerged plants. These elements have become the basis for a strong hypothesis in favour of parallel carbon nutrition. The objective of this thesis was consequently to explore the previously unknown capacity of mixotrophy (i.e. the possibility of direct use of dissolved organic carbon in addition to photosynthesis) in aquatic plants. This use of DOC would be facilitated by the absence of a cuticle and the contact of the entire surface of the vegetative apparatus with water. Experiments on Lemna minor and Myriophyllum spicatum led to the demonstration of the mixotrophic capacity of these two aquatic plants for which this had never been mentioned before. Among the most striking results was the growth allowed in the dark in the presence of sugar and an increase in growth rate of almost 50% in the light for L. minor in the presence of 10 g.L-1 of glucose. Numerous small labile DOC molecules were tested to give a first overview of the actual usable molecules. Sugars, especially sucrose and its two monomers glucose and fructose, were the molecules with the most significant results. A transcriptomic approach was also carried out in order to better understand the cellular and metabolic mechanisms involved, and to open up new questions on the inheritance or the specific appearance in aquatic environments of such capacities. The sequencing of M. spicatum was carried out in this context, a species that was not yet available in the databases despite its status as a model plant. The hypothesis of a role for the endophytes potentially present was also questioned. A three-method approach (microbial culture, molecular biology technique and genomic analysis) demonstrated the absence of endophytes in our study plants, attributing the mixotrophic capacities directly to the plants and not to their unrevealed internal microbiota. Finally, in a context of chemical contamination, notably by photosynthesis-inhibiting herbicides, the question of the compensatory effect of mixotrophy was the last aspect studied. Very promising results were obtained: in particular, the presence of glucose at a concentration of 10 g.L-1 made it possible to fully compensate for a lethal isoproturon concentration of 480 μg.L-1.
The use of organic carbon by aquatic plants could thus constitute a key metabolic alternative, allowing certain species to develop in a polluted environment. In the light of our multiple results, this underestimated phenomenon of mixotrophy could therefore be at the origin of truly unsuspected capacities in many aquatic plants, opening the way to perspectives both on the understanding of their development and on their role in phytoremediation processes and biotechnologies in polluted environments.

Mots clés en français :Mixotrophie,Hétérotrophie,Plante aquatique,Carbone organique dissous,Herbicide,Axénisation
Mots clés en anglais :   Mixotrophy,Heterotrophy,Aquatic plant,Dissolved organic carbon,Herbicide,Axenisation