Cette thèse analyse les transformations du travail de soin induites par la Récupération améliorée après chirurgie (RAAC), dispositif clé du virage ambulatoire de la chirurgie lourde. À travers une comparaison entre une clinique privée lucrative (ProOp) et un établissement privé non lucratif (Delaplace), elle montre comment ce programme, présenté comme une innovation médicale, redéfinit les frontières entre travail professionnel et travail profane, tout en révélant des enjeux politiques et économiques sous-jacents.
À ProOp, les améliorations cliniques rendues possibles par le programme RAAC servent avant tout à raccourcir la durée moyenne de séjour, dans une logique de rationalisation gestionnaire. Dès lors, un certain nombre d’activités de soin ne sont plus réalisées pendant le séjour hospitalier mais sont déportées avant et après la chirurgie proprement dite, déléguées aux patients et à leur entourage et externalisées sur le domicile. Le collectif profane est donc mis à contribution, dans une organisation pilotée par des infirmières de coordination dont la mission consiste à le mettre au travail. Cette logique entraîne une segmentation du travail infirmier : certaines soignantes deviennent des gestionnaires de parcours, tandis que d’autres voient leur rôle clinique s’appauvrir à mesure que s’intensifient les flux de patients.
À Delaplace, qui assume des missions de service public sous un statut privé à but non lucratif, le programme RAAC est mobilisé en première intention pour ses bénéfices cliniques, ce qui permet de donner une dernière chance à des patients qui souffrent des suites d’une opération « ratée ». L’arrivée massive de ces patients en errance thérapeutique éclaire du même coup la façon dont la standardisation des parcours sur un territoire génère des formes d’exclusion thérapeutique. Cependant, les observations réalisées à Delaplace montrent que la prise en charge de ces patients, très coûteuse financièrement, repose non seulement sur l’engagement de quelques médecins, mais aussi sur un ordre négocié (Strauss et al. 1963) de plus en plus fragile face à la pression des injonctions économiques.
Ces deux modèles, sous une apparente complémentarité à l’échelle du système local de prise en charge (Sicot, 2009), masquent cependant des inégalités croissantes. ProOp incarne l’incubation des réformes gestionnaires, en testant des parcours optimisés pour des patients sélectionnés, tandis que Delaplace joue le rôle de filet social pour ceux que le système standardisé exclut. Seuls les patients dotés de ressources (santé, entourage, compétences) peuvent « travailler » pour se soigner. Les autres, souvent les plus vulnérables, dépendent d’un système déjà saturé. La généralisation des formes de délégation et d’externalisation de la contrainte vers la sphère privée, dont la RAAC est une illustration, dénote un désengagement croissant de l’État vis-à-vis d’une prise en charge universelle.
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This doctoral dissertation explores the transformations in care work brought about by Enhanced Recovery After Surgery (ERAS), a cornerstone program in the ambulatory shift program. Through a comparative analysis of a for-profit private clinic (ProOp) and a non-profit private hospital (Delaplace), it demonstrates how this initiative—framed as a medical innovation—redefines the boundaries between professionals and patients’ work, while exposing underlying political and economic stakes.
At ProOp, the clinical improvements enabled by the ERAS program primarily serve to shorten average hospital stays, reflecting a managerial rationalization logic. Consequently, a significant number of care activities are no longer performed during hospitalization but are instead shifted before and after surgery, delegated to patients and their families, and outsourced to the home setting. Patients and their families are thus enlisted within an organizational framework overseen by coordination nurses, whose mission is to mobilize their work. This approach leads to a fragmentation of nursing work: some practitioners become care pathway managers, while others experience a diminished clinical role as patient turnover intensifies.
At Delaplace, which fulfills public service missions under a non-profit private status, the ERAS program is initially deployed for its clinical benefits, offering a final opportunity to patients suffering complications from failed surgeries. The influx of these therapeutically adrift patients simultaneously reveals how the standardization of care pathways across a given territory generates forms of therapeutic exclusion. However, observations at Delaplace indicate that the care of these patients (financially burdensome) patients relies not only on the commitment of a few physicians but also on a negotiated order (Strauss et al., 1963), one that grows increasingly precarious under economic pressures.
While these two models appear complementary within the local healthcare system, they obscure deepening inequalities. ProOp embodies the incubation of managerial reforms, testing optimized pathways for selected patients, whereas Delaplace serves as a safety net for those excluded by the standardized system. Only patients with sufficient resources (health, social support, skills) can effectively "work" to heal themselves. The most vulnerable, meanwhile, remain dependent on an already overstretched system. The growing trend of delegating and externalizing constraints to the private sphere, as exemplified by ERAS, signals a progressing withdrawal of the state from the principle of universal care.
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