Cette thèse analyse l'oppression genrée selon trois dimensions interdépendantes : institutionnelle, interpersonnelle et intériorisée. Elle s’appuie sur des travaux académiques solides et sur des entretiens avec des femmes jordaniennes et palestiniennes concernant leurs expériences vécues au quotidien. Le travail met l’accent sur les formes d’oppression que les femmes elles-mêmes ont choisi de souligner et sur les manières dont elles y font face, les contournent ou les intériorisent.
La recherche repose sur une enquête menée auprès de 300 personnes dont les réponses ont orienté des entretiens semi-directifs avec des femmes âgées de 24 à 35 ans. Ce groupe a été choisi pour sa capacité à s’exprimer à la fois en tant que filles et, dans la plupart des cas, en tant que mères. Cinq expertes en genre ont également été interrogées pour enrichir l’analyse.
L’oppression institutionnelle principale, en Jordanie comme en Palestine, réside dans les lois étatiques régissant les droits civils et corporels, notamment le mariage, le divorce, la sexualité et l’héritage. Ces lois perpétuent la tutelle masculine et infantilisent les femmes au sein du système juridique, les forçant à une dépendance dans des sociétés elles-mêmes privées de liberté politique. Les femmes sont conscientes que leurs luttes s’inscrivent dans des structures géopolitiques imposées par l’Occident qui renforcent la domination patriarcale à travers l’occupation militaire, la répression politique et la dépendance économique.
La deuxième forme d’oppression est interpersonnelle. Les femmes doivent souvent négocier leur place dans le mariage, la famille et les relations intimes. Cela implique un marchandage patriarcal ou néo-patriarcal, dans lequel elles acceptent certains sacrifices en échange d’une autonomie partielle. Certaines ont décrit s’être mariées jeunes pour échapper à leur famille ou avoir simulé une religiosité pour protéger leurs sœurs cadettes. Ces négociations reflètent une conscience aiguë des compromis nécessaires à la survie dans un système oppressif.
La troisième forme d’oppression est intériorisée, et agit à la fois psychologiquement et corporellement. De nombreuses participantes ont exprimé un sentiment de contradiction interne, essayant de vivre librement tout en portant le poids des normes sociales et de la honte. Elles ont intériorisé une triple oppression : domination institutionnelle, restrictions culturelles et normes esthétiques mondialisées. Le concept de eib, ou honte, est apparu comme un outil de contrôle puissant. S’il encourage le respect et la cohésion sociale, il encadre aussi strictement les comportements féminins, en particulier en matière de modestie et de pureté.
La thèse montre que ces oppressions combinées mènent à des identités fragmentées et des vies doubles. Beaucoup de femmes poursuivent leurs aspirations sous des conditions qui punissent la visibilité et l’autonomie. Pourtant, elles résistent à travers des pratiques personnelles. Elles se rééduquent aux formes d’agency féminine précoloniale, accèdent aux savoirs féministes en ligne, et partagent leurs stratégies de survie entre générations.
Ces pratiques, souvent informelles et ignorées des institutions, représentent un féminisme enraciné dans le vécu. Il n’est pas dicté par les agendas des bailleurs ou les cadres internationaux, mais naît de la nécessité, du soin et de la mémoire. Dans leurs récits, les participantes imaginent des futurs où les filles ne seraient plus forcées de choisir entre sécurité et liberté, et où les relations seraient redéfinies par le soutien mutuel et une libération partagée. |
This thesis analyzes gendered oppression across three interconnected dimensions: institutional, interpersonal, and internalized. It draws on both high-quality scholarship and interviews with Jordanian and Palestinian women about their daily lived experiences. The work pays close attention to the dimensions of oppression that women themselves chose to highlight, and how they navigate, confront, or absorb them.
The research is based on a survey conducted with 300 participants whose responses informed semi-structured interviews with women aged 24 to 35. This group was selected for their ability to speak as daughters and, in most cases, as mothers. Five gender experts were also interviewed to provide additional context.
The primary institutional oppression in both Jordan and Palestine stems from state legislation governing civil and bodily rights, including marriage, divorce, sexual conduct, and inheritance. These laws sustain male guardianship and infantilize women in the legal system, forcing them into dependence within societies that are themselves not politically free. Women are aware that their struggles exist within broader Western-imposed geopolitical structures that reinforce patriarchal dominance through military occupation, political repression, and economic dependency.
The second form of oppression is interpersonal. Women must often navigate marriage, family, and intimate relationships through constant negotiation. This involves what may be called patriarchal or neo-patriarchal bargaining, where women make calculated sacrifices in exchange for limited autonomy. Participants described marrying early to escape their natal families or performing religiosity to protect younger siblings. These negotiations often reflect a deep understanding of the trade-offs required for survival within oppressive systems.
The third form is internalized oppression, which affects both mind and body. Many participants expressed a sense of internal contradiction, trying to live freely while carrying the weight of social shame and restrictive norms. They internalized forms of triple oppression: institutional domination, cultural constraints, and globalized beauty standards. The concept of eib, or shame, emerged as a powerful mechanism of control. While it encourages respect and communal harmony, it also regulates female behavior, especially regarding modesty and purity.
The thesis finds that the layering of these oppressions leads to fragmented identities and double lives. Many women pursue desires and aspirations under conditions that punish visibility and autonomy. Yet within these constraints, women engage in personal forms of resistance. They described reeducating themselves on precolonial forms of female agency, accessing feminist knowledge online, and sharing survival strategies across generations.
These personal practices, though often informal and unrecognized by institutions, represent a grounded feminism rooted in lived reality. It is not shaped by donor agendas or international policy frameworks but by necessity, care, and memory. In their reflections, participants imagine futures where girls are not forced to choose between safety and freedom, and where relationships are redefined by mutual support and shared liberation. |